Les vaccinations de routine en période de pandémie – un avantage ou un risque ?

Certains pays risquent d’interrompre leurs programmes de vaccinations pendant un certain temps afin de réduire le risque de propagation du coronavirus. Mais qu’est-ce qui est le mieux : avoir moins d’infections à coronavirus ou s’assurer que les enfants reçoivent tous leurs vaccins habituels ?

  • 13 January 2021
  • 9 min read
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Auteurs: Kaja Abbas, Simon R Procter, Stefan Flasche et coll
Rédactrices adjointe: Elitsa Panayotova and Madeleine Corcoran

 

Avez-vous fait vos vaccinations de routine lorsque vous étiez enfant ? Les vaccins permettent de sauver des millions de vie chaque année. Or, avec le nouveau coronavirus, certains pays risquent d’interrompre leurs programmes de vaccinations pendant un certain temps. L’idée est de réduire le risque de propagation du coronavirus SRAS-CoV-2, qui est à l’origine de la maladie COVID-19.

Mais qu’est-ce qui est le mieux : avoir moins d’infections à coronavirus ou s’assurer que les enfants reçoivent tous leurs vaccins habituels ? Pour le savoir, nous avons utilisé un modèle mathématique. Nous avons évalué les risques et les avantages du maintien des programmes de vaccination habituels des systèmes de santé en Afrique. Nous avons constaté que si les pays africains procèdent aux vaccinations comme à l’accoutumée, ils éviteront la mort de nombreux enfants. Les avantages sont bien plus importants que le risque de décès supplémentaires dus à la COVID-19.

Introduction

Le nouveau coronavirus a engendré de nombreuses difficultés dans le monde entier. De nombreuses personnes sont tombées malades, et beaucoup sont morts. De nombreux pays ont pris des mesures pour tenter de prévenir la propagation du coronavirus SRAS-CoV-2. Beaucoup d’entre nous sont en quarantaine et certains ne peuvent même pas aller chez le médecin, sauf en cas d’urgence. Mais jusqu’où ce genre de restrictions doivent-elles aller ?

Depuis de nombreuses années, nous avons vaincu les maladies infectieuses dangereuses grâce aux vaccinations. (Malheureusement, en novembre 2020, il n’existe pas encore de vaccin homologué pour la COVID-19, car il s’agit d’une nouvelle maladie). Étant donné que les enfants sont très exposés au risque de tomber malades à cause de nombreuses maladies infectieuses, nous sommes généralement vaccinés quand nous sommes enfants. De plus, nous sommes plus susceptibles de développer une bonne résistance à chaque maladie pendant l’enfance. Les vaccinations sauvent des vies et évitent les complications sanitaires auxquelles on s’exposerait en attrapant les vraies maladies.

Mais qu’en est-il en période d’épidémie ? Se rendre à l’hôpital ou au centre de vaccination présente de nombreux risques. Les enfants ou les personnes qui s’occupent d’eux peuvent être infectés par le coronavirus SRAS-CoV-2 lorsqu’ils se trouvent au centre. Ils pourraient alors infecter tout le foyer. Devrions-nous continuer à administrer les vaccins comme d’habitude ? Ou serait-il préférable que chacun reste chez soi ? Quelle ligne de conduite permettra de sauver le plus de vies ? Nous voulions trouver des réponses à ces questions importantes.

Un clinicien administre une dose de vaccin antipneumococcique à l’hôpital de Basse en Gambie, en Afrique. Source : La London School of Hygiene & Tropical Medicine

Méthodes

Nous nous sommes intéressés à l’ensemble des 54 pays africains. Nous avons utilisé un modèle mathématique pour déterminer les avantages et les risques si ces pays poursuivent les vaccinations habituelles. Dans notre modèle, nous avons émis quelques hypothèses :

  • Les mesures prises contre la COVID-19 comprennent la distanciation sociale
  • Si on ne découvre pas de vaccin contre la COVID-19, le virus finira par infecter environ 60 % de la population
  • Le risque lié à la COVID-19 dure six mois

Pour comprendre les avantages du maintien de la vaccination...

Nous avons estimé le nombre d’enfants qui mourraient entre le moment où ils n’ont pas été vaccinés et l’âge de cinq ans, s’il n’y avait pas de vaccination de routine pendant 6 mois.

Pour mieux évaluer la situation, nous avons envisagé deux scénarios extrêmes :

  • Le pire scénario : le risque de contracter ces maladies sera élevé jusqu’à ce que les enfants atteignent l’âge de 5 ans. L’immunité collective ne protège pas les enfants. Il n’y aura pas de programme de vaccination de rattrapage à la suite de l’épidémie de COVID-19.
  • Le meilleur scénario : l’immunité collective protégera les enfants non vaccinés contre les maladies – à l’exception de la rougeole. Il y aura par la suite des programmes de vaccination de rattrapage.

Pour comprendre les risques du maintien de la vaccination...

Nous avons évalué l’exposition supplémentaire au coronavirus SRAS-CoV-2 que pourrait entraîner l’administration des vaccins. Nous avons calculé le risque supplémentaire pour l’enfant, la personne qui s’occupe de lui et les membres de sa famille. Nous avons pris en compte la taille moyenne des ménages et la répartition selon l’âge dans chaque pays. Cela nous a permis d’estimer le nombre de décès supplémentaires parmi les membres du ménage des enfants vaccinés, en particulier parmi les personnes âgées qui sont plus susceptibles de mourir de la COVID-19.

Résultats

Risques liés au maintien des vaccinations :

Les visites dans les centres de vaccination pourraient entraîner le décès de 8 300 personnes de plus à cause de la COVID-19. Très peu de ces décès concerneraient les enfants et les autres jeunes membres des ménages. La plupart des décès concerneraient les adultes les plus âgés.

Dans notre « pire » scénario, nous avons constaté que le fait de vacciner comme à l’accoutumée permettrait d’éviter environ 700 000 décès d’enfants. La rougeole et la coqueluche seraient à l’origine de la plupart de ces décès. Pour chaque décès supplémentaire dû à la COVID-19, la vaccination aura permis d’éviter 84 décès chez les enfants de moins de cinq ans. Cela signifie que le rapport bénéfice-risque est de 84 (Fig. 1). Si nous nous concentrons uniquement sur les enfants vaccinés, pour chaque enfant supplémentaire décédé à cause de la COVID-19, 85 000 autres enfants auront été sauvés contre la mort due à des maladies évitables par la vaccination.

Dans notre « meilleur » scénario, le rapport bénéfice-risque d’un programme de vaccination durable est de 3. Pour chaque décès supplémentaire dû à la COVID-19, la vaccination aura permis d’éviter trois décès chez les enfants de moins de cinq ans. Si nous nous concentrons uniquement sur les enfants vaccinés, pour chaque enfant décédé à la suite d’une exposition supplémentaire au coronavirus SRASCoV-2 dans le centre, 3 000 autres enfants auront été sauvés par la vaccination.

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Figure 1:
Rapports bénéfice-risque dans le cas où les vaccinations des enfants se poursuivent comme à l’accoutumée en Afrique pendant la pandémie de COVID-19. Il s’agit de notre « pire » scénario – lorsque les autres maladies ont un impact élevé. Gris = données manquantes.

Discussion

Les avantages d’une vaccination habituelle chez les enfants africains sont bien plus importants que le risque de décès supplémentaire dû à la COVID-19.

Beaucoup plus de vies seront sauvées en poursuivant les programmes de vaccination, malgré la COVID-19. Cela est vrai même si ces autres maladies ont un impact moindre (notre « meilleur » scénario).

En outre, l’exposition supplémentaire au coronavirus SRASCoV-2 dans le centre de vaccination est principalement un risque pour les personnes âgées du foyer de l’enfant. La protection des personnes âgées est d’une grande importance et peut réduire ces décès supplémentaires.

L’Afrique a l’une des populations les plus jeunes du monde, ce qui explique que la COVID-19 y soit moins sévère. En revanche, il existe dans les pays africains des facteurs de risque qui pourraient rendre la COVID-19 plus grave pour les gens. Par exemple, le VIH, la tuberculose et la malnutrition peuvent rendre les personnes plus malades.

Étant donné que les avantages sont bien plus importants que les risques, nous recommandons de poursuivre les vaccinations de routine. En parallèle , il convient de renforcer les mesures de sécurité pour protéger les enfants, les parents et le personnel de santé contre le coronavirus SRAS-CoV-2. Les mesures de sécurité dans les centres de vaccination comprennent le respect d’une distance de deux mètres entre les patients, le port d’équipements de protection (masques pour les patients et masques, gants et visières de protection pour le personnel soignant) et le lavage régulier des mains.

Conclusion

Lorsque de nombreuses vies sont en jeu, il est difficile pour les autorités sanitaires de prendre des décisions. C’est là que la science peut aider. Cela peut paraître un peu froid d’évaluer les vies en chiffres, mais c’est le meilleur moyen de sauver le plus grand nombre de personnes possible – et c’est en suivant les programmes de vaccination que nous y parviendrons.

La meilleure façon d’aider les autres en ce moment est de garder une distance de sécurité les uns par rapport aux autres. Lorsque vous ne pouvez pas garder vos distances, vous devez porter un masque. Et n'oubliez pas de vous laver les mains régulièrement !

Testez vos connaissances

1 Comment les vaccinations de routine contribuent-elles à éviter les décès ?

2 Pourquoi considérons-nous que le fait de se rendre au centre de vaccination constitue un risque par rapport à la COVID-19 ?

3 Dans notre recherche, nous avons examiné les rapports bénéfice-risque.
a) Que signifie un rapport inférieur à 1 ?
b) Que signifie un rapport supérieur à 1 ?

4 Comment vous et votre famille pratiquez-vous la distanciation sociale ? Pourquoi ?

5 Quelles mesures de sécurité peuvent protéger les enfants, les parents et le personnel de santé contre le coronavirus dans les centres de vaccination ?

Glossaire des mots-clés

Hypothèse – quelque chose que nous considérons comme vrai dans un modèle mathématique, basé sur les connaissances scientifiques actuelles, lorsque des informations ou des chiffres exacts ne sont pas disponibles. Les hypothèses peuvent nous aider à trouver des résultats utiles avec les mathématiques lorsqu’il y a quelques inconnues. Par exemple, dans notre modèle, nous supposons que pour chaque personne qui contracte la COVID-19, elle infectera, en moyenne, entre 1,6 et 3,6 autres personnes.

Rapport bénéfice-risque – rapport entre les bénéfices d’une action et son risque. Par exemple, si un médicament est plus susceptible de guérir un certain patient que de lui nuire, le rapport bénéfice-risque est supérieur à 1 – il y a plus de bénéfices que de risques.

Coronavirus – un groupe de virus étroitement liés qui provoquent généralement des infections respiratoires chez l’homme. Ils peuvent entraîner des symptômes ou non. Les symptômes peuvent être légers à graves et peuvent inclure la pneumonie, le coma et la mort. Les coronavirus communs provoquent des maladies légères à modérées comme le rhume. Les autres coronavirus sont le SRAS-CoV (coronavirus du syndrome respiratoire aigu sévère), le MERS-CoV (coronavirus du syndrome respiratoire du MoyenOrient) et le SRAS-CoV-2 (le virus à l’origine de la pandémie actuelle) et peuvent provoquer des maladies graves.

COVID-19 – maladie à coronavirus 2019, une maladie causée par le virus SRAS-CoV-2. Les symptômes peuvent comprendre de la fièvre et une toux sèche dans les cas bénins et des difficultés respiratoires dans les cas plus graves.

Épidémie – augmentation soudaine du nombre de cas de maladie dans une population donnée.

Immunité collective – à mesure que de plus en plus de personnes dans une population deviennent immunisées, soit par la guérison d’une infection, soit par la vaccination, les chances qu’une maladie se propage diminuent. Tout le monde bénéficie d’une protection supplémentaire grâce aux personnes déjà immunisées. Lorsque suffisamment de personnes sont immunisées, elles servent de bouclier aux personnes vulnérables, si bien que le risque de propagation de la maladie devient si faible que l’on dit que cette population a une immunité collective.

Modèle mathématique – un ensemble d’équations mathématiques visant à simuler un système (par exemple une épidémie) et donc à prédire comment le système se comporterait dans le monde réel.

Coronavirus SRAS-CoV-2 – nom du virus qui entraîne la COVID-19 chez l’homme.

La distanciation sociale – diminution délibérée des contacts entre les personnes pour éviter la propagation de la maladie.

Vaccination – une personne reçoit des parties d’un virus ou d’une bactérie ou des versions affaiblies de l’agent pathogène et développe des anticorps contre eux sans tomber malade : le système immunitaire sait désormais comment lutter contre ce type d’infection. Par exemple, la plupart des enfants reçoivent le vaccin antirougeoleux, antiourlien et antirubéoleux (ROR) pour les empêcher de contracter ces maladies à l’avenir.

Références